top of page

MICROMEGA - de l’infiniment petit à l’infiniment grand - Une fiction Poético-Scientifique

 

 

Textes extraits des rapports médicaux et du journal d’un amnésique

 

 

27 octobre

Interné aux Urgence le 05 septembre le patient est atteint d’amnésie rétrograde et antérograde de causes non identifiées.

L’état du patient est stable depuis son internement. 

Il ne présente aucun traumatisme crânien.

Les examens cliniques physiologiques n’ont décelé aucune pathologie causant des déficits de la mémoire.

Les fonctions cognitives sont opérationnelles à l’exception de la mémoire.

Les fonctions visio-spatiales, exécutives et praxies ne présentent pas de dysfonctionnement.

Aucun trouble de l’attention, du langage et du comportement.

Absence d’idées délirantes, d’hallucinations.

Humeur stable. 

Aucun trouble du sommeil et comportement alimentaire normal.

Sa mémoire à court terme fonctionne partiellement.

L’encodage est effectif, la mémoire sensorielle fonctionne, le stockage à court terme fonctionne mais le sommeil efface toutes les informations encodées dans la journée.

La mémoire procédurale fonctionne. 

La mémoire déclarative fonctionne au niveau sémantique mais dysfonctionne au niveau épisodique. 

Le patient n’a en effet aucune mémoire didactique, biographique, topographique ou d’événements personnels.

 

11 novembre

Les gens sont invisibles pour moi. Une fois les avoir quittés, je ne me souviens plus d’eux. Eux, visiblement, me connaissent. Je ne les reconnais pas. Chaque jour ressemble à une nouvelle page blanche. La nuit efface les souvenirs de la veille. Voilà pourquoi j’ai décidé de tenir ce journal. Je ne reconnais pas mon écriture non plus mais j’ai inscrit sur la première page : Mon journal. J’espère que ça suffira. Je suis dans une chambre qui m’a été attitrée. Il parait que c’est la plus belle. Enfin, c’est ce que m’a dit une blouse blanche quand j’étais dans le jardin tout à l’heure  « Je vous raccompagne à votre chambre, vous avez la plus belle chambre, vous savez ? »  J’ai hoché la tête, mais au fond, j’aurais eu envie de lui dire :

« Non je ne sais pas, d’ailleurs je ne sais rien et c’est bien la raison pour laquelle je suis ici ! Non ? ».

Elle me souhaita une bonne journée et me dit à demain. Avant qu'elle eut quitté la pièce, je lui demandais depuis combien de temps j’étais ici. Elle me répondit que cela faisait maintenant plus de deux mois.

29 novembre

Les jours se suivent et se ressemblent. Après le défilé des blouses blanches du matin, balade dans le jardin, puis repas, puis retour dans ma chambre, défilé de blouses blanches, repas, retour dans ma chambre et dodo. Durant toute la journée, à chaque instant, j’essaye de me souvenir qui je suis et à quoi ressemble ma vie en dehors d’ici et maintenant. Voilà à quoi ressemblent mes journées.

 

03 decembre

Les tests neuropsychologiques impliquant les maladies neurodégénératives sont tous négatifs. 

Les scanners n’ont révélé aucune tumeur cérébrale. 

Le syndrome de Korsakoff est exclu : il ne souffre pas d’épilepsie et il n’a subi aucune intervention chirurgicale impliquant les régions diencéphaliques.

La cause de la pathologie doit se situer au niveau des réseaux neuronaux corticodiencéphaliques mais les examens anatomo-pathologiques n’ont rien décelé d’anormal.

 

5 décembre

Je crois reconnaître les blouses blanches, mais à voir leur sourire en coin je dois me tromper. J’ai donc entrepris de les répertorier dans un cahier jaune selon un certain nombre de critères physiques : sexe, âge, taille et poids approximatifs, aspect  et couleur des cheveux, forme du visage, yeux, nez, bouche, voix et démarche.

17 décembre

Le patient a subi des examens psychiatriques poussés. Il ne présente aucun trouble apparent d’ordre mental.

24 décembre

La blouse blanche de ce matin, en entrant dans ma chambre, me souhaite un joyeux Noël. C’est une femme plutôt jolie. La quarantaine, un mètre soixante-quinze, soixante kilos, chevelure auburn, ondulée, visage élégant, légèrement en triangle, teint clair, des grands yeux dorés, nez doucement aquilin, bouche raisonnable, voix tenue, démarche agile. Son badge indique Sandrine. Je lui ai demandé qui elle était, pour mon journal. Elle n’y était pas répertoriée. Elle m’a répondu qu’elle était médecin, neuropsychologue, et qu’elle était ici pour trouver une solution à mon problème. J’ai tout de suite aimé son approche pragmatique des choses : moi problème ; elle solution. Cela changeait de la valse des pantins qui étaient là pour « me soigner » alors que je me sentais en pleine forme ! Simplement ce fichu trou noir. Puis l’interrogatoire a changé de sens. Elle m’a posé toute une batterie de questions qui me semblaient toutes aussi idiotes les unes que les autres sans que je puisse y répondre pour autant. La première était sans doute la plus grotesque :

« Comment vous appelez-vous ? » Elle marqua un léger temps d’arrêt, puis enchaîna rapidement, comme on se brosse les dents sans réfléchir. Les questions suivantes me parurent plus simples, mais ma mémoire restait muette. « Avez-vous fait des rêves cette nuit ? , « Qu’avez-vous fait hier ? », « Savez-vous pourquoi vous êtes ici ? », « Quel âge avez-vous ? », « Que faîtes-vous dans la vie ? », « Savez-vous qui je suis ? »

Je répondis : « Oui, vous êtes Sandrine et vous travaillez ici. Vous êtes médecin, neuropsychologue et vous êtes là pour trouver une solution à mon problème. Vous voyez ! J’en sais plus sur vous que sur moi-même ! ». Elle sourit. Profitant de ce sourire, j’avais envie de lui demander si je pouvais rentrer chez moi pour Noël avant de me rétracter comprenant soudain l’absurdité de ma pensée. 

18 janvier

Compte tenu de son état nous pouvons conclure que le patient souffre d’amnésie dont l’origine psychogène semble purement psychique.

 

24 mars

Sandrine vient tous les jours depuis trois mois aujourd’hui. Avant qu’elle n’arrive ce matin, j’avais relu, comme tous les jours, les infos de la veille. Elles commencent par ces deux phrases qui me rappellent chaque matin à ma condition :

« Bonjour mon vieux, tu es amnésique et ça fait exactement 215 jours que tu es ici. Pour situer qui sont les blouses blanches, prendre le cahier jaune ».

S’en suivent des informations inintéressantes sur à peu près tout et n'importe quoi. La dernière phrase m’interpella : J’aime le chocolat. Décidé, je demandais avec enthousiasme si ce n’était pas une piste à suivre pour retrouver ma vie. Sandrine me répondit que cela ne constituait en rien une quelconque piste ; que souvent même, les gens qui perdent la mémoire ne se souviennent plus de ce qu’ils aiment ou pas, que parfois même ils se mettent à adorer des choses qu’ils détestaient auparavant. Elle a ri. J’avais envie de pleurer. J’ai hoché la tête.

 

08 Avril

Nous avons décidé de lancer le programme MICROMEGA afin d’expérimenter sur le patient le scanner zeptoscopique AKI.

Les recherches vont porter sur le lobe temporal du cerveau.

 

13 avril

Ce matin, Sandrine a l’air anxieux. Elle a le teint pâle, ses yeux sont agités, son front semble peser sur sa pensée. Elle m’a posé les questions quotidiennes. Pas plus de réponse. Elle est accompagnée de trois autres blouses blanches non répertoriées qui sont restée muettes. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit qu’ils avaient peut-être une solution pour que je me souvienne. Sandrine m’a alors demandé si je souhaitais participer à une expérience. Elle m’a dit que cela ne comportait aucun risque et que je ne souffrirai pas. Je hochais la tête pour acquiescer, mais au fond de moi j’étais plutôt inquiet. Je les voyais déjà m’ouvrir le crâne et disséquer mon cerveau en petits bouts pour en faire un puzzle qu’ils ne sauraient reconstituer. J’avais envie de leur dire : « Pas vraiment, je préférerais que vous expérimentiez la chose sur quelqu’un d’autre. Puis, si ça marche, revenez me voir ». Mais j’étais sans doute trop faible et bien trop lâche. Ne pouvant signer, faute de nom, une personne filma mon consentement, comme il l’appelait. Il me donna un papier à lire. J’eus l’impression que cela ressemblait plutôt à un contrat qui, une fois conclu, ne me permettrait plus de disposer de mon corps en propre. Je n’avais déjà plus de tête, ils me retiraient mon corps.

 

Le 8 mai

Aujourd’hui, je me souviens. C’est quelque chose d’extraordinaire. Je me souviens. Une sensation très étrange. Indescriptible ! Comment ces choses que j’ai dans la tête ont-elles bien pu m’arriver ? Me sont-elles vraiment arrivées ?  A moi je veux dire. En vrai !?

Je suis amnésique, ou plutôt j’étais amnésique, et hier encore je ne me souvenais de rien mais aujourd’hui tout a changé. Ce matin de nombreuses blouses blanches sont venues. Je les connaissais. Il y avait Sandrine. Certains m’avaient mis dans le cocon, dans cette grande pièce toute noire, il y a plusieurs jours. Ils m’ont demandé de les suivre. Arrivés devant une porte, ils m’ont demandé de rentrer. Il y avait là une quinzaine de blouses blanches assises qui m’ont regardé, préocuppées. Sandrine m’a demandé de m’asseoir. Un homme avec des lunettes très grand et mince, que je n’ai pas reconnu, posa devant moi une enveloppe blanche, sur laquelle était écrit MICROMEGA-C. Il m’indiqua de l’ouvrir. J’ouvris. Il m’indiqua alors de regarder le contenu de l’enveloppe. Je retirai son contenu. Il y avait là une planète que je reconnus instantanément. Un mot sorti de ma bouche : Sweeny.

 

Je me souviens.

Je me souviens de ses yeux amande couleur noisette lumineux. Son visage. Ses cheveux ondulés, son cou dégagé, notre rencontre, l’escalier, puis la joie de la retrouver à chaque fois.

Je me souviens de tout.

Le bonheur du réveil à ses côtés, de l’éclosion de ses yeux comme le miracle du premier jour de la vie. je me souviens des écureuils, de la Paze, de Queen Mary, Saint Nicolas, du général, Périol et du 29, je me souviens de mon mutisme, je me souviens de la violence muette de son regard, je me souviens de sa voix, je me souviens de son poids.

Tout cela jaillit dans mon cerveau comme vole en éclat un barrage et vient inonder ma mémoire d’images animées, de sensations, de sentiments. De souvenirs…

 

 

Droits d'auteur et crédit photos : © Benoit de Bengy - 2013

bottom of page